Jérôme Conscience travaille les mots comme si c’étaient des choses. Liberté et créativité de l’artiste, Les Mots et les Choses, formule innovatrice de la philosophie contemporaine portée par Foucault, devient à travers le travail de Jérôme Conscience Les Mots comme des Choses. Il y a dans cette nouvelle formule, d’artiste certes, et non pas de philosophe, une liberté détachée des contraintes du savoir et ramenée à donner ce que donne tout artiste, une échappée.
La langue est l’objet de Jérôme Conscience; son art lui permet à la fois d’en jouer, de la malmener et de la sublimer. La rigueur de sa calligraphie renvoie au rapport premier et fondateur du traçage des mots jusqu’à ce qu’ils deviennent ce qu’ils doivent être. Dans ce devoir être il y a ce qui nous emporte nous, l’autre, l’extérieur au rang de lecteur. On lit des mots, des formules comme si c’étaient des choses. L’art de Jérôme Conscience nous ramène au langage et comme une ironie nous renvoie la question de ce que nous faisons du langage. Le ramener à l’être chose, opération de l’artiste, est une réplique de ce que nous en faisons. Mais là où nous le perdons, l’artiste nous montre qu’il faut le sauver. L’opération devient comme évidente quand il s’attaque au latin. Les utopies ont toujours voulu penser une langue unique qui contiendrait toutes celles que les hommes ont façonnées. Et là où on nous sert plus que le globish, une pauvre parodie de l’anglais, Jérôme Conscience nous rappelle qu’il y a déjà eu une Europe et que cette Europe parlait la diversité et la singularité, mais qu’elle parlait aussi d’une seule voix et que cette voix était le latin.
Alors les formules latines que tout utilisateur de dictionnaire, ce lieu de confrontation au mot, reconnaîtra comme si c’était un clin d’œil qui lui était adressé, le renvoient à son socle. Saisie entre le professeur et le prêtre, ses anciens supports, la langue latine désormais libre de ces amarres-là, s’offrirait comme un véhicule propre à amener, dans un monde qui a perdu science et conscience, savoir et sens, ces éléments perdus de la vie des hommes.
Imaginer dans ces supports à slogans publicitaires devant réveiller la conduite consommatrice, des formules de repos et de questionnement aptes à réveiller le manque du sens, c’est cela le jeu de l’artiste et c’est là que réside sa puissance expérimentale. Le latin dans la rue pour rappeler une vérité enfouie qui dit que le savoir n’est plus là où il se donne à voir. Le latin dans la rue pour nous rappeler que nous ne savons plus lire ce qui nous porte.
Le latin dans la rue pour nous faire entrevoir que la langue est mortelle. Le latin dans la rue pour nous faire entrevoir que nous ne faisons qu’aller là d’où nous venons.
Louis Ucciani 2009